Contre les politiques métropolitaines

Métropole, le mot pour faire taire les citoyens

Métropole! Le lexique réduit du personnel politique et de ses nègres s’est enrichi d’un mot. Cela n’est pas si commun, les dernières années nous ont montré comment le vocabulaire des élites pouvait se réduire, tant quantitativement, que qualitativement. De moins en moins de mots, et de moins en moins précis (gouvernance, projet, développement durable, bonnes pratiques…), une quarantaine de termes composent la novlangue. Cela rend facile son apprentissage, et celui ci permet dans le même temps de devenir bilingue, de pratiquer le sabir de l’empire, le basic english fièrement brandi par les diplômés des business schools of ripaton les panards (ce vocabulaire étant composé pour l’essentiel d’anglicismes). L’érosion du sens accompagne cette réduction lexicale, par exemple, « initié » en novlangue signifie commencé et non plus quelqu’un à qui un secret ou un mystère a été révélé, transmis. En ce qui concerne métropole, une fois n’est pas coutume, ce vocable ressort du français, et il possède un caractère de vraisemblance. Est ce une bonne nouvelle ? Tiendrions-nous là le signe d’un retour à la précision dans l’usage de la langue ?

Retour vers le futur

J’y vois plutôt confirmation que la géographie est une pourvoyeuse de métaphores qui naturalisent l’ordre social et spatial du monde, faisant oublier que les « nouvelles » centralités (en clair des boîtes à chaussures sur des parkings, nulle part au milieu de rien), illustrant la dynamique métropolitaine, expression savante pour dire l’étalement urbain dans lequel se dilue ce qui hier était la ville et la campagne. Cela est le fruit de stratégies qui ne doivent rien à un mouvement qui serait spontané et naturel.

Pour exemplifier mon propos de la façon la plus simple, il suffit de songer au trajet socio-spatial exemplaire de la famille Mulliez. Dans les années 70, propriétaires de Phildar, entreprise productive installée sur le territoire national, qui obtient des fonds publics pour « sauver l’emploi », et  délocalise la production vers des cieux de plus en plus « compétitifs », son siège vers des cieux fiscaux  plus cléments, moins « hostiles aux entrepreneurs ». Dans le même temps, achats de foncier dans toutes les agglomérations françaises, achats qui se révéleront être particulièrement perspicaces, en bordure des ronds-points rythmant les rocades, nouvelles barrières urbaines. Dans la Florence des Médicis, ceux ci distribuaient à leur affidés les portes d’entrées de la cité, garant de rentes, mais il faut reconnaître que cela s’accompagnait d’un autre décor urbain que les Norauto, Kiabi, Feu vert, Auchan, Décathlon nous offrent.

Ce faisant, la famille Mulliez contrôle et organise le nouvel appareil de distribution de la marchandise et pèse sur les producteurs, y compris agricoles par le biais de ses centrales d’achat. Destruction de la ville et de la campagne vont de pair, s’inscrivant comme le résultat d’une même stratégie de l’oligarchie. Fin des commerces de proximité, destruction des ceintures maraichères, production de denrées de masse et de biens d’équipements à bas coût et sans qualités. Quarante ans plus tard, cette firme ajoute une corde à son arc, l’immobilier, visant dorénavant la rente foncière pour poursuivre l’accumulation du capital. Cette stratégie n’est pas le fruit du « génie » de la famille Mulliez, elle est commune à toutes les firmes européennes, et l’exemple le plus abouti est sans doute Benetton, qui fait de Venise « Benettown » en achetant tous les points d’entrée dans la ville et les hauts-lieux du tourisme que l’Etat Italien a bradés.

L’urbanisme à l’heure du copier-coller

Et les pouvoirs publics, donc ? Comme à Venise, ils sont là pour modifier les règles d’urbanisme afin de permettre la réalisation du schéma abstrait construit et théorisé par Kasarda et Lindsay, deux économistes, sous l’appellation d’Aerotropolis. L’aéroport devant jouer au XXIème siècle le même rôle que les ports au XVIIIème et les gares au XIXème. Il ne s’agit pas seulement d’agrandir l’aéroport existant, pour accueillir d’autres activités, en faire une petite ville, mais de projeter une nouvelle métropole aux environs de l’aéroport, le faisant rayonner par une série de moyens de transports connectés sur un rayon de 30 km environ. Ce développement doit être planifié avec soin pour mieux valoriser les spécificités de chaque site relié (Le territoire, marchandise à la découpe). Parmi les conditions indispensables au succès de cette initiative, c’est à dire sa capacité à engendrer les profits attendus par les marchés,  trois sont essentielles. Gestion privée de l’aéroport, investissements publics importants garantissant des moyens de transports « dédiés » pour relier les cases du Monopoly, et une synergie d’intention entre entreprises et pouvoirs publics décidés à attirer les « investisseurs » en leur offrant les fonctions et activités existantes, des musées aux casinos en passant par les parcs d’attraction et les centres de congrès. C’est le (non)sens de l’éco-quartier « Oz » à Montpellier, flanqué par la gare T.G.V. bientôt bordé par une A9 doublée. C’est le (non) sens de Notre-Dame des Landes à Nantes. Et cessons de dire que ce sont des projets inutiles, ils sont indispensables à la poursuite de l’accumulation du capital, ils sont vitaux pour le CAC 40, via les funestes P.P.P. tel celui monté avec Oc’Via pour  la L.G.V. Nîmes Montpelier qui va éventrer le paysage de vignes et de garrigues du Lunellois.

Un programme de destruction du territoire

Il y a aujourd’hui dans notre pays un programme bi-partisan, clairement partagé par la droite et la gauche, de destruction du territoire. Et pas seulement physiquement, esthétiquement, mais au plan des principes, de ce qui nous relie : la citoyenneté comme forme politique de la territorialisation. Et que ce mot de « Métropole » est une pièce centrale de la rhétorique des politiques publiques territorialisées, entrant dans la catégorie des poids lourds du discours de guerre contre les citoyens, au côté de « patrimoine », « tourisme », ce terme qui est une expression complexe instaure une nouvelle vision du monde en même temps qu’il disqualifie notre rapport à l’espace, au temps et à l’action.

Métro-Polis, la Cité mère, la ville à l’origine de l’agglomération, recelant les principes de la croissance démographique et spatiale, de la dynamique métropolitaine. Nommer cette réalité contemporaine à l’aide d’un vieux terme permettrait ainsi d’inscrire dans la continuité historique, dans un processus de filiation la ville, communauté historique et pratique de citoyens et non amas de pierres. Et la métropole serait en fait le nouveau visage de la ville contemporaine. Ce serait accoster sur les rives de la modernité en construisant l’ordre spatial de la mondialisation réalisée, et à l’instar d’Enée, oublier Troie pour fonder Rome. Ce mot de métropole, qui était plutôt connoté négativement, certains allant jusqu’à parler de monstruopole pour les plus grandes de ces amas urbains, devient positif, renvoyant à ville mère et offrant ainsi une vision rassurante du nouveau désordre urbain. J’ai le souvenir d’un collègue, qui au début des années 90 du siècle passé, passait son temps de colloques en congrès, de séminaires en symposium à bondir comme un cabri en brandissant des cartes montrant les migrations pendulaires dans les agglomérations françaises et à rugir contre l’égoïsme des maires des communes qui renâclaient à l’institution de communautés d’agglomérations. L’intérêt de ce souvenir ne consiste pas à pouvoir qualifier d’intellectuel organique un collègue, mais de pouvoir saisir l’efficacité du travail de géographe, la construction d’images du monde vraisemblables, similaires à la vérité. Le mot construit la chose et ce, en trois temps.

Le premier est celui de la figuration. Donner un visage, une figure à ce nouvel ordre spatial. La ville n’est plus la ville, le schéma mental centre périphérie, centre historique bourgeois et banlieue populaire ne fonctionne plus. La dynamique métropolitaine appelle la construction d’une nouvelle image. Se diffuse alors celle de la « ville-mosaïque » dont les tessons, les fragments, sont définis par des processus de qualification-déqualification.

Le second temps est celui de la problématisation. Puisque la ville n’est plus la ville, il est nécessaire de la penser à une nouvelle échelle à travers les problèmes techniques. Les flux, les réseaux, l’attribution de l’usage du sol à l’échelle de la communauté d’agglomération afin de « mettre en cohérence » le nouvel aménagement qui s’impose, faute de quoi, le chaos menacerait. Avec la Métropole, ce qui s’ajoute est l’horizon indépassable de la « compétitivité des territoires » qui vient imposer la taille. Nous retrouvons là les vieilles lubies de la recherche de la « maille optimale » de « gestion territoriale ».

Le troisième est celui de l’institutionnalisation, de l’inscription dans la durée. C’est l’institution de la « Métropole » comme nouvelle étape glorieuse vers les lendemains radieux de la décentralisation. Ecoutez-les pleurer le jour sur ce qu’ils font la nuit, ces élus qui déplorent le mille-feuille territorial qu’ils viennent de construire la veille! Et dont les larmes deviennent torrent pour accompagner le regret de l’éloignement des citoyens de la politique! Alors que toute leur stratégie territoriale consiste depuis une trentaine d’années à désaffilier les citoyens du territoire d’exercice de la citoyenneté. Passer de la triarchie Nation, Départements, Communes à Europe, Régions, Communautés d’Agglomération, faire que l’on croit continuer à élire un conseil municipal qui va élire un Maire, et découvrir un Président d’Agglomération. Et à chaque fois en parlant de simples transferts de compétences comme d’un problème technique et non politique, dépolitisant en technicisant. Faut-il alors s’étonner que l’extrême-droite reprenne du poil de la bête (immonde) ?

Le territoire n’est pas un objet « technique », il est une entité fictive qui nous relie, nous sujets désirants, parlants, souffrants et toujours « animaux politiques ». L’oublier, et détruire ce qui en faisant territoire nous fait passer de sujets à société ne peut être que la marque d’une grande ignorance ou d’un grand cynisme.

A lire les « programmes » en ces temps de « marketing » politicien à courte vue et rationalité « Absolutelylimited », l’un et l’autre ne sont pas à exclure !

Daniel Bartement, Département de Géographie, Université Paul Valéry Montpellier

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